Workshop // Octobre 2016 - Février 2017
L'hétérotopie, c'est « l'espace autre ». C'est l'utopie, mais localisée physiquement, c'est, comme dit Foucault, un « contre-espace » : le cimetière, l'hôpital, la prison, l'asile psychiatrique, mais aussi le grenier, le jardin, le tipi qu'y construisent les enfants, le lit des parents, également le navire, le parc d'attraction, la place où viennent s'installer les forains le temps de fêtes, etc... Circonscrits spatialement, ils obéissent également, comme par analogie, à des régimes temporels autres : l'hétérotopie appelle l'hétérochronie ; comme dans le rêve, le rapport au temps devient tout autre. La ville également peut devenir hétérotopie (la forêt, quant à elle, l'est toujours), mais pour cela il faut se donner la chance de s'égarer : l'imaginaire l'emporte alors sur le béton que nous y voyons habituellement.
Erresonance
Incipit : Le colporteur
Chaussures trouées aux pointes métalliques, le colporteur à l'orée de la lune d'argent entre dans la petite cité. Les lanières tirent sous le poids de l'objet et ses épaules se voûtent formant cette ligne arrondie des vallons qu'il court court toujours, sous le poids de la quincaillerie ambulante, sous le poids de toutes ces années. Fuyant par ici et ailleurs revenant sans cesse sur ses pas, pour toujours les quitter. L'étranger vagabond, aux mille villes et aux mille visages et pourtant (depuis toujours encore) retentit le cliquetis de ses collections dont il porte l'édifice à même sa nuque. Remplissant d'échos les ruelles, il attire foule de curieux, et sur la place centrale dépose la lourde malle. A peine les serrures tournées, les rayonnages dont le bois porte l'usure du temps apparaissent au regard du visiteur. Métaux, verre, pierres et autres curiosités dépassent des interstices, tel de petits insectes prisonniers du pêcheur minutieux.
Foule circulaire, fontaine circulaire, révolution de l'ouverture de tous passages qui tourne tourne sous les frémissements des ruelles, tourne, tourne sous le craquement des pas et de l'amassement populaire tourne, tourne autour de la structure que l'on feuillette pupilles ouvertes.
Le gardien agite toutes ses éditions, images colorées qui se reflètent dans tous ses gestes. Ses mains agiles se baladent sur la surface carrée, se faufilent dans les recoins, caresses d'Atlantide, ivresse des rondes, on y dégote alors fables métalliques, contes ornés de dentelles et gravures de poème. Pas un son ne reste distinguible, et pourtant c'est l'émerveillement du murmure chuchotant. Farfelues histoires criantes de justesse, le colporteur les archive. Mémoire et ombres de l'étranger des mondes.
Interlude
Rocaille des couches successives, traversée de par des millénaires s'abandonne sous notre regard.
Trace de périodes successives.
Fragmentation de la roche sous l'usure de l'averse.
Et fossiles célestes du temps abyssal.
Ce sont les sauvegardes des dispersions du temps et des disparitions d'un monde en perpétuel mouvement.
Suite de tissus croisant les territoires, dépassant toutes frontières dépaysées.
Où, les ressemblances s'immiscent dans les antonymies. Où, les racines portent les ossements des guerriers de civilisations successives.
Ainsi les couches s'éveillent des temps perdus, remontent à la surface, d'une immédiate mémoire.
L'enfant et le jardin d'hiver
Dans le jardin d'hiver, que l'enfant s'imagine cathédrale fluide, la transparence découpe un monde. Un monde hors du vent, même s'il fait ployer à portée de regard les arbres sidéraux du verger alentour, au-dehors de tout dirait-on. L'enfant joue à être le vent ; parfois il saisit la terre - son monde à lui aussi était de terre, et se demande combien de pieds l'ont foulée depuis qu'elle est là, et puisqu'il est un dieu plein de caprices il s'en débarrasse à grands cris par-dessus des épaules si frêles et pourtant si vivantes : c'est qu'il est ivre d'innocence ; il voudrait que, comme ici, il n'y ait jamais rien dans l'air qui entrave sa fantaisie, et avoir pour toujours la clarté du jardin d'hiver comme croisée, comme place d'où également, sans cesse, contempler et partir.